L'AFFAIRE DARGENEZ
Nous portons à votre
connaissance une affaire étrange mais authentique survenue à Melesse en 1757.
Il s'agit de la tentative d'empoisonnement du recteur Joseph GAUVEN par un
autre prêtre, l'abbé Gilles DARGENEZ qui convoitait la cure.
Nous découvrons l'affaire
par le biais d'une lettre adressée au seigneur de la juridiction de Melesse M.
ANNEIX DE SOUVENEL.Ce dernier considérait ne pas devoir supporter les frais de
la procédure de jugement de l'abbé DARGENEZ ainsi que les frais de fourniture
de pain et de paille lors de l'emprisonnement du dit abbé et de son complice.
La lettre ci-dessous est la réponse à sa requête.
Afin
de faciliter la compréhension du document quelques mots ont été changés ; ils
apparaissent en italique dans
le texte.
Voici la
lettre qui provient des archives départementales série C1 899.
« A Rennes le 30 mars 1760
Le recteur de Melesse, Gauven, ayant renoncé à sa cure au profit du
sieur Dargenez, s'en repentit le lendemain, il fit notifier ses regrets à
Dargenez qui prétendit qu'ils étaient,inutiles. Procès se mit entre eux. Pour le terminer à son avantage, Dargenez
imagina d'empoisonner le recteur pour cacher la part qu'il aurait eu dans le
crime, il manda de Normandie son frère.
Il le fit loger à l'auberge du Moulin Blanc. Après de longues conférences pour se décider sans doute du genre
de poison, ils allèrent ensemble acheter de l'opium, qu'ils firent
dissoudre. Ils imaginèrent de le faire
parvenir au recteur sous le nom de Madame Anneix (de Souvenel), femme d'un
avocat de Rennes qui a une maison de campagne dans cette paroisse (il s'agit du
château des Milleries, aujourd'hui disparu) et qui est liée d'amitié avec le
recteur. Le prêtre composa une lettre
au nom de cette dame. Elle disait que, touchée par la malheureuse
situation dans laquelle il était, réduit par la paralysie dont il était affligé
depuis deux ans, elle avait trouvé un spécifique (médicament) excellent, dont
monsieur le comte Du Guesclin attaqué du même mal, venait de faire usage et de
guérir ; qu'il fallait prendre un verre de cette liqueur une heure avant de se
coucher et le second en se couchant.
Le frère n'ayant pas voulu
se charger de porter la fiole et la
lettre, un particulier de cette ville fut envoyé un jeudi 31 mars 1757, porter
le tout, de la part de madame Anneix, au recteur, qui reçut la communion le
soir et qui deux heures après la réception, se préparait à faire usage du
prétendu remède lorsque son curé (vicaire) entra dans la chambre. Le recteur lui donna la lettre à lire, lui
témoigna combien il était touché des attentions de cette dame. Le style et l'écriture de cette lettre qui n'était
pas datée, la signature qui était mal orthographiée, firent naître dans l'esprit
de ce curé des soupçons qu'il communiqua au recteur. Il l'empêcha de prendre le remède et lui proposa d'aller le
lendemain à Rennes s'informer de cette dame, si elle avait effectivement envoyé
ce spécifique. Le projet fut
exécuté. Madame Anneix nia avec raison
et la lettre et l'envoi de la fiole.
Son mari, étonné de cette manoeuvre, se transporta avec le curé chez le
commissionnaire qui était connu et qui leur dit avoir été chargé du paquet par
un particulier logé au Moulin Blanc et qui lui avait donné 36 sols pour sa
peine. Ils se rendirent à l'auberge.
L'homme n'y était plus.
L'hôtesse déclara qu'il était de la connaissance de l'abbé Dargenez qui
ne l'avait pas quitté pendant le peu de temps qu'il avait été à Rennes. Il n'en
fallut pas davantage pour soupçonner l'auteur de la fausse lettre et de l'envoi
de la fiole dont la liqueur devint furieusement suspecte. Le sieur Anneix (de
Souvenel) alla porter le tout à Monsieur le Procureur Général et lui rendit
compte de cette aventure. Ce magistrat envoya chercher un apothicaire et un
chirurgien qui, en sa présence, décomposèrent la liqueur qui se trouva contenir
environ 22 grains d'opium. Il ordonna à
son substitut au Présidial (tribunal) d'agir d'office. Il fit aussi garder à vue, pendant trois jours,
le prêtre Dargenez et quand toutes les informations furent rassemblées contre
cet abbé, il le fit mettre en prison sans aucune formalité de justice
préalable.
Le procès fut instruit par
le juge royal concurremment avec l'official de Rennes à requête de Monsieur le
Procureur Général. Le recteur n'ayant pas porté plainte, le poison n'ayant pas eu son effet, Dargenez et ceux
soupçonnés de complicité n'étant pas domiciliés
à Melesse il a été indispensable de juger le crime comme il l'a été.
L'opposition du seigneur de
Melesse est donc bien justifiée ; les frais (du procès) doivent être sur le
compte du Domaine du Roi. A l'égard des
complices, suivant le procès verbal de torture (au cours de l'interrogatoire de
l'abbé Dargenez, on lui avait mis « les escarpins de soufre » qu'on approchait
du feu pour le faire parler), suivant la sentence de l'official, de celle du
présidial et de l'arrêt du Parlement, il ressort que Dargenez n'a eu qu'un seul
complice, son frère qui est en fuite et qui est un malheureux journalier de
campagne des environs d'Avranches et qui ne possède lien.
Je suis avec un très profond
respect, monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur. »
Signé AUVOUARD
Association d'histoire
Melesse A Travers les ages
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